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21 janvier 2021

Le 21 janvier 2021

- Laurent Rigaux / Initiative de journalisme local - APF - Atlantique

Pierre El Hajjar, chef de la cafétéria du Carrefour de l’Isle-Saint-Jean à Charlottetown, se félicite de voir les enfants vider leurs assiettes depuis que ce sont ses recettes qui sont au menu.  (Photos : Laurent Rigaux)

 

Depuis début janvier, le Carrefour de l’Isle-Saint-Jean a changé son fusil d’épaule en ce qui concerne le programme de repas sains. Le centre scolaire et communautaire appliquait au trimestre précédent les recettes de la province. Devant la réaction mitigée de certains élèves et de leurs parents, c’est désormais le chef Pierre qui fixe les menus.

 

«Ce n’était pas mauvais, mais différent.» Solange Aké, la directrice par intérim du Carrefour de l’Isle-Saint-Jean à Charlottetown donne son appréciation des recettes fixées par le programme provincial de repas scolaire.* Cette initiative, mise en place en septembre, a pour objectif de donner un dîner sain à un maximum d’élèves de l’Île-du-Prince-Édouard, qu’importe ce que leurs parents sont capables de payer, en utilisant des aliments locaux dans la mesure du possible.

 

Des plats qui ne faisaient pas l’unanimité

 

Les commandes se font sur un site Web provincial et les contributions sont volontaires, avec un maximum de 5 $ par enfant et par repas. Les recettes, les mêmes pour tout le monde, sont fixées à l’avance par une diététicienne : chaudrée au poisson ou salade de légumes d’automne et patate douce apparaissaient au menu cet automne par exemple.

 

«On a commandé une fois; mes enfants n’ont jamais voulu qu’on recommence», témoigne Lucie Charron. «Il y avait beaucoup de gaspillage, ils n’appréciaient pas vraiment», ajoute la maman de trois élèves en 2e, 5e et 7e année. Un son de cloche identique du côté de Mélanie Morin, qui a deux garçons en 2e et 4e année, ainsi qu’une fille en 7e année : «Il fallait choisir les journées où c’était quelque chose qu’ils aimaient.»

 

Pour le chef Pierre, qui officie en cuisine, le problème de ces recettes était leur complexité. «Avec par exemple du riz mélangé à du céleri, si tu n’aimes pas le céleri, tu manges pas ton assiette. Certaines journées, les enfants ne mangeaient que 20 % de ce qu’on mettait», explique-t-il.

 

Face aux réactions négatives, la province a décidé de mettre à jour ses menus pour le second trimestre (lire La Voix acadienne du 13 janvier). Exit la salade grecque, aux oubliettes le poulet au beurre indien accompagné de riz aux légumes. Le poisson a aussi disparu de la carte. Au Carrefour, plutôt que d’attendre ces nouvelles recettes, on a préféré prendre les devants avant les fêtes en rejoignant le modèle suivi par La-Belle-Cloche, l’École Évangeline, l’École-sur-Mer, l’École Pierre-Chiasson et l’école secondaire Montague Regional High School. Dès le début, ces établissements ont choisi de fixer eux-mêmes les menus.

 

Pas de flexibilité

 

La contrepartie? Ces écoles doivent gérer elles-mêmes les commandes, récolter l’argent des parents, se faire ensuite rembourser par la province la différence entre les contributions et le seuil de 5 $. Les menus doivent aussi être validés par la diététicienne responsable du programme. Ces contraintes avaient poussé le Carrefour, en septembre, à choisir l’autre option. «Ça nous déchargeait», commente Solange Aké.

 

La directrice par intérim du Carrefour évoque le manque de «flexibilité» des recettes provinciales pour justifier le revirement quatre mois plustard. «Remplacer l’ail en poudre par de l’ail frais, c’était OK», raconte-t-elle. Mais remplacer un plat par un autre n’était pas envisageable : «La Shepherd’s pie (met irlandais semblable au pâté chinois), par exemple, ça ne passait pas du tout auprès des élèves.»

 

Le Carrefour est donc reparti sur «ses recettes», pour le plus grand bonheur des enfants, à en croire Lucie Charron. «Quand j’ai dit à mes enfants qu’on revenait au menu du chef Pierre, ils étaient tellement contents», commente la mère de famille. En cuisine, le chef prend plaisir à indiquer la poubelle, quasi vide à 12 h 45, après plusieurs services. Au contraire du nouveau menu provincial, celui du Carrefour conserve une journée poisson, le vendredi. Elle ne fait cependant pas le plein autant que la journée pizza, à en croire les chiffres du Carrefour.

 

«Nourrir toutes les bouches»

 

Ce système de commandes à la journée nuit-il à l’objectif «santé» du programme, qui équilibre les recettes sur la semaine? «On ne peut pas dire qu’on atteint 100 % de l’objectif, réagit Solange Aké. Mais les enfants apprennent à manger des tomates, des concombres.». La responsable du centre communautaire évoque des témoignages positifs de parents, satisfaits de voir leurs enfants apprécier des ingrédients plus sains, même au trimestre précédent. Un avis partagé par Christiane LeBlanc, maman d’une élève en 6e année : «Pour ma fille, c’est la chance d’essayer des choses nouvelles.»

 

À l’autre bout du couloir, la directrice de l’école François-Buote, Isabelle Savoie-Jamieson, tient à rappeler que le but poursuivi par la province est avant tout «de nourrir toutes les bouches», en finançant le système “payer ce que vous pouvez”, que les cafétérias suivent le menu de la province ou le leur. «J’applaudis cette initiative car un enfant qui ne mange pas, c’est un enfant qui ne réussit pas», ajoute-t-elle en évoquant les difficultés rencontrées par certains parents pour donner un dîner à leurs enfants chaque jour.

 

«Financièrement, ça m’a aidée, témoigne Christiane LeBlanc. Si quelque chose arrive, tu peux pas payer. Une semaine tu peux, une semaine non.» Une autre maman de quatre enfants dans l’école, abonde dans le même sens : «C’est une aide énorme.» Avant, si elle ne pouvait pas payer, elle leur donnait une boîte à lunch. Maintenant, elle sait que quels que soient ses moyens, «ils auront un repas chaud».

 

Ces deux mamans reconnaissent cependant que le changement de stratégie du Carrefour à du bon. Christiane LeBlanc raconte que sa fille a, pour la semaine à venir, choisi quelque chose chaque jour, ce qui n’était pas le cas au premier trimestre : «Quand j’ai regardé le nouveau menu, ça donne plusieurs options, c’est excitant !»

 

* Dans la moitié des écoles de la Commission scolaire de langue française de l’Î.-P.-É., dont l’école François-Buote, c’est le centre communautaire attenant à l’école qui fournit le service de cafétéria. 

 

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