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03 avril 2019
Le 3 avril 2019
- Par Ericka Muzzo

Entre deux entrevues, la réalisatrice Aube Giroux consacre aussi son temps à la terre, faisant pousser ses propres légumes. Biologiques, bien entendu!  (Photo : Gracieuseté Aube Giroux)


La réalisatrice néo-écossaise Aube Giroux a couvé son documentaire «Modifié» pendant plus de 10 ans.  Il a finalement vu le jour en 2017 et a remporté depuis pas moins de 13 prix.  À la fois personnel et professionnel, le film d’une heure et demie se penche sur la question de l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM). 

Partant du jardin de sa mère, Aube Giroux est allée à la rencontre de fermiers, de scientifiques et de politiciens pour faire le tour du sujet, et livre ses conclusions dans une œuvre poignante.  Bien que les OGM soient interdits dans 38 pays et que 64 aient des lois pour leur étiquetage, ni le Canada ni les États-Unis n’ont à ce jour mis en place de législation.  Une situation qui désespère la réalisatrice. 

«À mon avis, les consommateurs devraient pouvoir savoir quels produits contiennent des OGM et lesquels ont été arrosés avec des pesticides.  Plus d’information on a, mieux c’est.  Après, c’est à chacun de prendre ses propres décisions, c’est un choix intime», estime Aube Giroux. 

Ayant grandi dans une région agricole de la Nouvelle-Écosse, elle se rappelle avoir vu passer des camions transportant des pesticides durant toute son enfance.  «À côté du centre communautaire, il y a avait un champ de pommiers qu’on arrosait de pesticides, alors même qu’il y avait des gens et des enfants juste à côté.» Sans avoir de preuve formelle, elle se doute que c’est en partie ce qui aurait pu causer le cancer de sa mère, décédée en 2015. 

Anéantie, Aube Giroux a même cessé de travailler à son documentaire après l’événement.  Mais impossible pour elle d’abandonner le projet, qui a finalement pris une tournure plus personnelle que prévu, une sorte d’hommage à sa mère, Jali Giroux.  «C’est elle qui m’a transmis ma passion pour la nourriture», explique la réalisatrice, qu’on voit âgée de trois ans dans le documentaire, en train de dévorer des pois cueillis à même le jardin familial. 

Une lutte transmise

C’est également sa mère qui a soulevé les interrogations auxquelles tente de répondre Aube Giroux dans «Modifié» : comment les OGM sont-ils réglementés, et quelles sont les possibilités pour les consommateurs de prendre des décisions éclairées? 

Malgré les multiples tentatives de la réalisatrice de s’entretenir avec Santé Canada, c’est peine perdue.  Au fil du documentaire, on entend les fonctionnaires se renvoyer la balle, pour finalement refuser toute demande d’entrevue.  «C’était vraiment frustrant, mais pas surprenant.  Ça démontre un grand manque de transparence d’un organisme qui doit rendre des comptes à la population», déplore la réalisatrice. 

Aube Giroux dit craindre que les OGM, évalués par Santé Canada, représentent un danger pour la santé des consommateurs, à leur insu.  «Santé Canada se fie aux études qui lui sont fournies, et qui ne sont pas indépendantes, mais proviennent de l’industrie agroalimentaire.  En plus, elles ne sont pas révisées par des pairs, ce qui leur enlève automatiquement de la crédibilité.  Il n’y a aucune transparence et aucune possibilité d’accéder à ces évaluations», martèle la réalisatrice. 

Sans pouvoir affirmer hors de tout doute que les OGM sont dangereux, puisque leurs effets ne sont «pas surveillés», Aube Giroux critique le fait que l’utilisation d’OGM entraîne une hausse de l’utilisation des pesticides.  «Et ÇA, c’est dangereux», s’exclame-t-elle. 

Le désherbant Roundup de Monsanto a fait la une des médias récemment, alors que des traces de glyphosate ont été retrouvées dans plusieurs produits vendus en épicerie.  Le glyphosate, ingrédient actif du Roundup, a récemment été jugé cancérigène par un jury californien. 

Au profit des multinationales

À savoir si les OGM sont un incontournable pour nourrir l’ensemble de la population grandissante, Aube Giroux est catégorique : non.  «C’est une situation beaucoup plus complexe, qui englobe des questions de distribution et de pauvreté.  À l’heure actuelle, on a assez de nourriture pour tout le monde, mais ce n’est pas tout le monde qui a accès à de la nourriture», illustre-t-elle. 

«Je ne suis pas contre le génie génétique à proprement parler.  Certaines applications peuvent être bénéfiques, mais la manière dont c’est fait en ce moment vise uniquement le profit des grandes compagnies.  Il faut que ça soit plus éthique et plus réglementé», calcule la réalisatrice. 

Depuis 1999, neuf projets de loi visant l’étiquetage des OGM ont été rejetés au Canada.  Le plus récent était le C-291 du député néo-démocrate Pierre-Luc Dusseault en mai 2017.  Il a été défait à 216 contre 67.  Des quatre députés prince-édouardiens, seul le Libéral Sean Casey a voté en faveur du projet. 

«80 % des Canadiens ont dit être en faveur de l’étiquetage des OGM.  Ça me fascine, à quel point c’est évident, que ça devrait être fait, mais l’industrie se bat de manière hallucinante pour que ça ne se fasse pas.  Ça montre à quel point les compagnies ont du pouvoir», constate Aube Giroux. 

La version anglaise du documentaire, «Modified», est disponible sur le site Web de CBC en version raccourcie.  La réalisatrice travaille à ce qu’il soit présenté dans son ensemble à l’Île-du-Prince-Édouard, mais rien n’est coulé dans le béton pour le moment.  Les associations peuvent organiser un visionnement «à coût minime», en contactant les responsables sur le site web www.modifiedthefilm.com. 


Sa mère, Jali Giroux, a joué un rôle primordial dans sa sensibilisation à la question des OGM et de leur étiquetage.  (Photos : Gracieuseté Aube Giroux)




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